« La règle de la volonté humaine est double.L’une, règle prochaine et homogène, c’est la raison même de l ’homme ; l ’autre, règle suprême, c’est la loi éternelle, qui est comme la raison deDieu. »Tel est l’enseignement constant de S. Thomas.
La règle prochaine est la raison de l’homme. Que devons-nous entendre ici par la « raison de l'homme » ? Ce mot « raison » se retrouve à chaque pagede l ’œuvre morale de S. Thomas, mais avec des nuances diverses. Parfois, il signifiera la faculté de raisonner, par exemple : « La prudence est dans la raison. » Plus rarement, l ’opération de cette faculté : « De toutes les puissances, c’est l ’appétit concupiscible qui participe moins de la raison. » Leplus souvent, il signifie le dictamen, c’est-à-dire le produit de l ’opération de la raison pratique.C’est dans ce sens que nous entendons l’axiome de S. Thomas : « La règle prochaine, c’est la raison de l ’homme. » Ces trois significations, ou mieux, ces trois nuances, car elles sont unies par la plus étroite analogie, se distinguent facilemeut parle contexte ; mais qu’on le prenne dansun sens ou dans uu autre, ce mot « raison » veut toujours dire la raison, et non une chose autre. En quoi consiste ce dictamen, qui est, avons-nous dit, le produit de l ’acte de la raison pratique ? S. Thomas nous l ’explique, à l'occasion de la loi, car la loi, elle aussi, est règle des actions humaines. De même que, dans la raison spéculative, les opérations intellectuelles donnent un produit, effet de l ’opération, mais qui s’en distingue réellement comme l’effet se distingue de la cause, par exemple, la définition, ou la proposition, ou le syllogisme, de même dans la raison pratique, nous avons des propositions, qui formulent la sentence prononcée par le jugement de la raison pratique C’est le dictamen. C’est là ce qui constitue la règle de la moralité. Il y a d’abord des propositions générales : Il faut faire le bien et éviter le mal ; ilest défendu de voler ; on doit honorer ses parents. Ce sont les exemples employés par S. Thomas. Les lois, étant ordonnées au bien public, sont nécessairement des propositions générales. Mais la règle de la moralité, qui s’applique aux actions individuelles, devra aussi comprendre des propositions particulières, par exemple, le directeur de conscience qui répond à une consultation : Dans le cas présent, vous êtes obligé de restituer.
Notre interprétation n ’a pas rencontré l ’agrément du P. Elter Il trouve que les Thomistes exagèrent la portée de ce mot « raison » et qu’ils ne rendent pas ce qui est dû à la nature humaine. Le P. Elter va réparer cette injustice. Il a lu S. Thomas et il y a découvert que le mot « ratio » ne signifie pas la « raison », mais« la forme substantielle de l ’homme ». Aujourd’hui, S. Thomas est trop lu, pourqu’un auteur qui se respecte puisse, comme au temps jadis, se permettre de passer complètement sous silence la formule classique si souvent reproduite sous une forme ou sous une autre dans les œuvres du saint Docteur : « Regula voluntatis est ratio humana. » Le P. Elter accepte donc cette formule, mais, prenant le mot« ratio », il le vide de son sens, il dit que la « ratio » signifie la forme substantielle de l’homme, et cette opération très simple lui permet, tout en adoptant le mot de S. Thomas, de conserver la chose prescrite par le P. Beckx : « La règle de la moralité, c’est la nature humaine complete spectata L... ». Le P. Elter a eu un précurseur dans cette voie, Dom Lottin qui exprime sa pensée en ces termes : « Le bien moral se définit donc d’après la forme substantielle de l’homme, c’est-à-dire la rationalité. » S. Thomas avait dit : « Bonum et malum dicitur per comparationem ad rationem. » Dom Lottin traduit : « Le bien moral se définit donc d’après la forme substantielle del ’homme. » Traduction approximative. Tant que Dom Lottin resta seul de son avis, nous avions cru pouvoir sans inconvénient le laisser à son splendide isolement. Mais aujourd’hui il commence à faire école, le P. Elter emboîte le pas et dépasse son précurseur, une Revue sérieuse ouvre ses pages à cette doctrine nouvelle. La source est donc devenue ruisseau ; avant que le ruisseau ne se soit transformé en un grand fleuve, nous avons cru opportun d’exposer les liaisons pour lesquelles cette théorie nous semble absolument inadmissible. Nous profiterons de l ’occasion pour rechercher dans l ’œuvre du saint Docteur la justification de sa formule : « La règle prochaine et homogène de la volonté, c’est la raison humaine.»
La raison, règle de la moralité - d'après saint Thomas
ISBN 978-2-38429-049-9
Nombre de pages : 268
Format : 15.5 x 23.5 cm
Type d'édition : fac-similé